3-Ponte Syrphe2Le syrphe ceinturé Episyrphus balteatus, espèce indigène abondamment retrouvée dans nos agro-écosystèmes, possède de nombreux atouts en tant qu’agent de lutte biologique. En effet, ce Diptère, polyaphidiphage au stade larvaire, est retrouvé sur une large gamme de végétaux et se nourri de nombreuses espèces de pucerons. Particulièrement voraces au second et au troisième stade, les larves peuvent consommer jusqu’à 1200 pucerons. Les adultes présentent aussi un grand intérêt puisqu’ils participent activement à la pollinisation de nombreuses espèces végétales. Par ailleurs, les femelles d’Episyrphus balteatus peuvent pondre jusqu’à 1000 œufs pour assurer leur descendance. Très sélectives quant à leur site d’oviposition, elles privilégient les plants infectés de colonies de pucerons en pleine expansion : ceci assure une lutte biologique optimale sur le terrain et l’éradication des aphidiens dommageables à nos cultures.

Introduction

Le contrôle biologique des pucerons se développe de plus en plus, que ce soit à l’aide de parasitoïdes ou de prédateurs (Carver, 1989 ; Chambers, 1989 ; Fraser, 1989). Parmi ces derniers, plusieurs espèces de syrphes, reconnus comme étant des prédateurs aphidiphages efficaces au stade larvaire, abondent dans de nombreux agro-écosystèmes (Gilbert, 1986). L’espèce Episyrphus balteatus est celle que l’on retrouve le plus fréquemment dans les champs cultivés : elle est adaptée à une large gamme de proies. Selon Gilbert (1986), E. balteatus peut être considéré comme un prédateur plus généraliste que les autres espèces de syrphes rencontrées. Les larves aphidiphages de ce prédateur constituent ainsi un potentiel très appréciable en tant qu’agent biologique de contrôle.

Beaucoup de travaux font état de l’efficacité de ces prédateurs : Chambers et al. (1983) ont prouvé que ces auxiliaires sont largement responsables de la diminution des populations aphidiennes en plein champ ; Poehling et Tenhumberg (1991) ont constaté la totale élimination des pucerons par les larves de syrphes, alors que le ratio prédateur-proies était de 1/245.

Systématique et biologie

Episyrphus balteatus appartient à la famille des Syrphidae, au sous-ordre des Cyclorrhaphes et à l’ordre des Diptères. Il existe plus de 6000 espèces de syrphes dans le monde, la plupart étant aphidiphages à l’état larvaire et s’annonçant par conséquent comme des agents précieux dans la lutte biologique contre les pucerons des cultures (Tornier & Drescher, 1991).

Après son émergence (hors de l’œuf), la larve de l’espèce Episyrphus balteatus, comme celle des autres syrphes, passe par 3 stades larvaires séparés chacun par une mue. La durée de chaque stade varie en fonction de la température, de l’humidité et de la disponibilité en nourriture.

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Figure 1 : Œufs (A), larve (L3) (B), pupe (C) (sur Vicia faba) et adulte femelle d’E. balteatus (D)

Les œufs d’ Episyrphus balteatus (figure 1A) sont blanchâtres, oblongs et mesurent 1 mm de long. Ils sont pondus sur les plantes infestées de pucerons (à proximité ou au contact de ceux-ci), sont généralement isolés ou, plus rarement, pondus par deux (Chandler, 1968a). De hautes températures associées à un degré hygrométrique élevé assurent un développement et une éclosion rapide des œufs.

Tous les oeufs connus de Syrphidae ont la même apparence : blanchâtres, de forme ovoïde parfois arquée, allongés, avec une extrémité plus étroite que l’autre. Leur taille (de 800 à 1300 µm environ) varie selon les espèces.

Les larves des Diptères Syrphidae (figure 1B) sont, pour l’essentiel, de type vermiforme et acéphale : elles ne possèdent donc ni pattes segmentées, ni tête sclérifiée et elles sont aveugles.

Lors de la prédation, le prothorax et le mésothorax sont déployés et balancés en un large mouvement latéral pour détecter les pucerons (Rotheray, 1987 ; 1991). Une fois la proie reconnue, la larve « projette » une salive collante pour l’immobiliser, puis perce le puceron en faisant intervenir ses pièces buccales qui vont véritablement pénétrer au travers de la cuticule. La larve aspire alors l’hémolymphe en opérant un mouvement de va-et-vient des pièces buccales. La digestion des larves de syrphes aphidiphages est extra-orale (extra-oral digestion = EOD) : injection de salive dans la proie, puis aspiration de son contenu. Ce type de digestion est rencontré chez environ 79% des insectes prédateurs (Cohen, 1995), réduit le temps de maniement de la proie, augmente le taux d’extraction des nutriments et permet à de petits prédateurs d’extraire les nutriments hors de proies relativement plus importantes en taille (Cohen, 1995). Une fois la proie vidée de son contenu, il n’en reste qu’une sorte d’exuvie abandonnée par la larve. Après une capture, les larves intensifient leur chasse, projetant et balançant latéralement l’avant de leur corps, et la réduisent ensuite à défaut de détecter quelque autre proie (Rotheray, 1983). Les larves qui rencontrent un puceron mais en perdent le contact immédiatement après, avancent plus lentement et multiplient leurs balancements caractéristiques pour le repérer à nouveau (Chandler, 1969).

Les larves peuvent être retrouvées sur une large gamme d’espèces végétales, car elles sont extrêmement voraces et se nourrissent de la plupart des espèces de pucerons (Dusek & Laska, 1966). Le nombre de pucerons consommés (jusqu’à 1200 au cours du stade larvaire) varie avec la température et l’humidité (Gilbert, 1986). Une réduction de l’effectif des larves peut être observée suite à l’action destructrice de parasitoïdes hyménoptères, mais aussi en raison d’un cannibalisme sévissant lors de conditions nutritionnelles insatisfaisantes (Chandler, 1969).

Laska et Stary (1980) signalent 38 sortes de pucerons-proies pour Episyrphus balteatus. Cependant, certaines d’entre elles ne conviennent pas à toutes les larves de syrphes (Ruzicka, 1975). En effet, la plus ou moins grande toxicité des pucerons ingérés est liée à la présence, dans la plante-hôte, de substances néfastes – souvent des alcaloïdes et des glycosides – que métabolisent différemment les diverses espèces d’aphidiens (Ruzicka, 1975).

A l’issue du troisième et dernier stade, la larve cesse de s’alimenter, rejette le méconium (unique défécation noire et brillante) et cherche un site de nymphose pouvant être à proximité de son lieu de développement. L’induration de l’exuvie du dernier stade larvaire conduit à la formation de la pupe (figure 1C) à l’intérieur de laquelle se déroulera la nymphose.

La pupe d’Episyrphus balteatus a la forme d’une gouttelette et présente une alternance de zones blanchâtres et brunâtres. La température à laquelle se déroule la pupaison influence la coloration de l’imago : de basses températures donnent lieu à des individus plus sombres (Marriot & Holloway, 1998). L’humidité joue également un rôle très important : si elle n’est pas suffisamment élevée, les adultes émergeants présentent un abdomen plat, négligent de se nourrir et ne sont donc pas viables.

Les syrphes adultes (figure 1D) sont floricoles et se nourrissent, selon les espèces, de pollen et de nectar, tous deux nécessaires à la maturation des gonades des femelles et des mâles adultes (Lyon, 1965). On peut aussi couramment voir des syrphes se nourrir de miellat d’Homoptères. Les Syrphidae butinent une large gamme de fleurs, les plus visitées étant celles offrant un accès facile au pollen et au nectar, telles de multiples Apiacées, Astéracées et Brassicacées. De nombreuses études ont porté sur les relations plus ou moins larges ou étroites entre Syrphidae et fleurs, certaines démontrant l’adaptation fonctionnelle et évolutive des pièces buccales en fonction du régime alimentaire (Gilbert, 1986).

Les mâles de certaines espèces manifestent un comportement territorial marqué : forte agressivité vis-à-vis des autres mâles qu’ils chassent des fleurs de leur territoire où viennent butiner les femelles qu’ils fécondent. Différentes espèces émettent des bourdonnements saccadés qui seraient un moyen de communication et une séquence de parade (Sarthou, 1996).

Il est peu courant de voir des accouplements de syrphes, ceux-ci pouvant avoir lieu en vol au cours de circonvolutions aériennes, ceci pour la plupart des espèces de Syrphidae (Dusek & Laska, 1974). Les femelles arrivées à maturité sont identifiables grâce aux masses ovariennes visibles à la partie postérieure de l’abdomen. Elles iront ensuite pondre sur des plantes infestées de pucerons.

Facteurs d’oviposition

Le comportement de ponte des insectes dépend essentiellement de la présence de médiateurs chimiques dans leur environnement. C’est le cas d’E. balteatus qui répond pleinement à cette caractéristique : la ponte est stimulée à la fois par les substances volatiles émises par le miellat et par la présence des pucerons dont le rôle est ainsi prépondérant (Almohamad et al. 2007 ; Budenberg & Powell, 1992a et b ; Harmel et al., 2007 ; Scholz & Poehling, 2000 ; Verheggen et al 2008, 2009). Entwistle et Dixon (1990) ont montré que les femelles de Syrphidae aphidiphages séjournent plus longtemps et pondent davantage d’oeufs en présence de colonies d’aphidiens de forte densité. Il ne faut pas non plus négliger la plante-hôte de la proie qui influence la femelle pour le choix de son site d’oviposition (Vanhaelen et al., 2001).

Par ailleurs, Dixon (1959) suggère que les femelles gravides sont attirées par la couleur verte des tiges des végétaux. Cependant, toujours selon le même auteur, ce serait la perception olfactive, plutôt que visuelle ou auditive, qui inciterait principalement la découverte des colonies de pucerons. Le choix d’une colonie ne s’effectue pas au hasard : Kan (1988a et b) a montré que chez les aphidiphages, les femelles en quête de sites d’oviposition évaluent qualitativement et quantitativement les colonies de pucerons, en vue d’assurer le bon développement de leurs descendances. Elles choisissent les sites où les colonies de pucerons sont jeunes et prometteuses, et négligent les colonies de grande taille comportant des nymphes de quatrième stade et des adultes ailés.

Conclusion

Le syrphe ceinturé Episyrphus balteatus possède de nombreux atouts en tant qu’agent de lutte biologique : les larves de ce Diptère sont polyaphidiphages, elles sont retrouvées sur de nombreux végétaux et se nourrissent de nombreuses espèces de pucerons ; les adultes sont des pollinisateurs efficaces ; les femelles pondent de nombreux œufs à proximité de colonies de pucerons en pleine expansion et assurent ainsi un contrôle biologique efficace.

Cet auxiliaire indigène, déjà largement répandu dans nos cultures, semble donc tout indiqué pour lutter efficacement et de façon raisonnée contre les pucerons.

C’est pourquoi, l’Unité d’Entomologie fonctionnelle et évolutive (FUSAGx) étudie plus particulièrement ce prédateur en vue de le multiplier en masse et de mettre au point des dispositifs de lutte biologique favorisant son utilisation sur le terrain.

Lire aussi : “Multiplication de prédateurs et de parasitoses pour la mise au point de dispositifs de lutte biologique contre les pucerons”

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