Production de viande – réchauffement climatique

Yves BECKERS¹, Élisabeth JÉRÔME², Christine MOUREAUX³, Bernard BODSON³, Marc AUBINET²

¹Unité de Zootechnie, ²Echanges Ecosystèmes-Atmosphère, ³Unité de Phytotechnie
Passage des Déportés, 2, B-5030 Gembloux
Gembloux Agro-Bio Tech, Université de Liège

Le réchauffement climatique fait régulièrement la une de l’actualité par le biais, le plus souvent, d’événements exceptionnels ou d’idées chocs qui, relayés et amplifiés par bien des médias, marquent profondément nos citoyens consommateurs. L’exemple le plus explicite dans le domaine des productions animales est le rapport de la FAO (i.e. Livestock’s long shadow : environmental issues and options, Steinfield et al., 2006), qui affirmait que les activités d’élevage au niveau mondial contribuaient au réchauffement climatique pour une part égale, voire supérieure, à celle de la combustion d’énergie fossile par le secteur des transports ! Dit de cette manière, il faudrait désormais choisir pour notre environnement : manger ou conduire…

Réfuter le rôle de l’élevage, et plus globalement des activités agricoles, sur le réchauffement climatique n’est pas l’objectif de cet article, le reconsidérer et l’objectiver au travers entre autre de son inventaire au niveau de notre région l’est bien davantage. De fait, de grandes incertitudes subsistent toujours sur le bilan des gaz à effet de serre des productions animales, en particulier dans les conditions de production de viande pratiquées en Région wallonne, qui diffèrent à plus d’un titre de celles mises en œuvre par nos voisins européens ou ailleurs dans le monde.

Ce travail s’inscrit dans le cadre d’une subvention de recherche de la Direction Générale Opérationnelle de l’Agriculture, des Ressources naturelles et de l’Environnement (Service Public de Wallonie, DGARNE, Département du Développement – Direction de la Recherche) allouée à Gembloux Agro-Bio Tech. Il s’intitule “Établissement du bilan de carbone d’une exploitation agricole wallonne pratiquant le système allaitant : effets du climat et de la gestion des pâturages”.

De manière globale, l’objectif du projet est de mesurer dans les conditions de la Région wallonne les émissions de gaz à effet de serre d’une exploitation agricole basée sur l’élevage d’animaux producteurs de viande. Trois types de gaz sont à prendre en compte, à savoir, par ordre d’importance, le dioxyde de carbone (CO2), le méthane (CH4) et le protoxyde d’azote (N2O).

Réaliser de telles mesures demande de pouvoir quantifier précisément toutes les sources d’émission et de stockage des gaz à effet de serre à l’échelle d’une exploitation agricole de référence. Il s’agit ici de l’exploitation de Monsieur Adrien Paquet à Dorinne.

Dans un premier temps, les mesures se limitent aux flux de CO2 échangés par une prairie permanente de l’exploitation. Par le biais de la photosynthèse, le couvert végétal capte le CO2 atmosphérique. A l’opposé, il en émet lors de la respiration. En période de croissance végétative (jour vs nuit, printemps vs hiver), la photosynthèse prend le pas sur la respiration et la masse herbacée augmente au sein de la prairie. L’inverse est observé lorsque le couvert végétal stoppe sa croissance, voire régresse. A l’échelle annuelle, il est acquis qu’une prairie est un écosystème qui capte généralement davantage de CO2 qu’il n’en émet : la prairie agit comme un « puits de carbone » dans le jargon des spécialistes. Le bilan est cependant très variable d’un site de mesure à l’autre et selon les années. Il est dès lors important de réaliser ces mesures dans les conditions rencontrées en Région wallonne.

Le dispositif de mesure des flux de CO2, présenté à la photo 1, est installé depuis le mois de mai 2010. Ce dispositif mesure en continu, à raison d’une mesure par demi-heure, les flux de CO2 échangés entre le couvert végétal et l’atmosphère.

 

Photo 1. Dispositif de mesure installé dans la prairie (crédit photo : Élisabeth Jérôme)

Photo 1. Dispositif de mesure installé dans la prairie (crédit photo : Élisabeth Jérôme)

Le premier objectif de ce travail est d’étudier l’incidence du climat sur les flux de CO2. Pour cela, une station micro-météorologique est également installée sur le site. Elle mesure la température et l’humidité à la fois de l’air et du sol, le rayonnement solaire, la pression atmosphérique et les précipitations (Photo 1). Ces variables constituent les principales composantes climatiques susceptibles d’influencer les flux de CO2. Une première année de mesure se termine à cette époque et trois années supplémentaires sont prévues au minimum par le projet. Cela permettra de tenir compte des variations climatiques au sein d’une année et entre les années, ces variations affectant profondément les résultats. A ce titre, l’année 2010 a été marquée par la sécheresse des mois de juin – juillet et l’année 2011 nous réserve certainement bien des surprises !

Le deuxième objectif du travail est d’étudier les impacts du mode de gestion de la prairie sur les échanges de CO2. La parcelle d’étude fait l’objet, au cours du cycle de croissance de l’herbe, d’un pâturage par les animaux (jeune bétail, vaches gestantes, vaches allaitant leur veau, etc.) et éventuellement d’une coupe destinée à constituer les réserves hivernales. La gestion de la prairie doit donc permettre une croissance suffisante de l’herbe afin de produire cette biomasse herbacée. La gestion est du ressort de l’exploitant agricole qui communique aux auteurs du projet les interventions réalisées (fauche, amendements, fumures minérales et organique, etc.), les périodes de pâturage, les charges animales et les performances des animaux. En présence des animaux, les échanges de CO2 sont donc modifiés dans le sens où les animaux ingérant l’herbe la digèrent et la valorisent pour satisfaire leurs besoins d’entretien et de production. En conséquence, ils rejettent dans l’atmosphère du CO2 suite à la fermentation dans le rumen et via la respiration. En outre, les déjections animales déposées sur la prairie par les animaux sont aussi susceptibles de générer des émissions de CO2. Ces flux sont pris en compte par le dispositif expérimental mis en place sur la parcelle (Photo 1).

Simultanément aux mesures des flux de CO2, la productivité de la prairie est évaluée de manière hebdomadaire durant la période de croissance de l’herbe par les techniques de fauche d’une surface déterminée et de la mesure des hauteurs d’herbe. Les échantillons d’herbe collectés sont ensuite analysés pour déterminer leur composition chimique et leur valeur alimentaire. En présence des animaux, l’ingestion d’herbe et les émissions de matières fécales sont aussi mesurées par différentes techniques.

Le projet ambitionne de pouvoir étendre les mesures aux deux autres principaux gaz à effet de serre : le CH4 et le N2O, respectivement, 2ième et 3ième gaz par ordre d’importance responsables du changement climatique. Le premier est essentiellement émis suite à la fermentation anaérobie de l’herbe dans le rumen des animaux et de leurs déjections au niveau de la prairie. Le second est davantage lié aux processus de nitrification-dénitrification se déroulant dans les premiers centimètres du sol en fonction notamment des flux d’azote au niveau de la prairie (fumures azotées, déjections animales, décomposition de l’herbe, etc.) et des conditions climatiques. Un dispositif de mesure des échanges de N2O sera installé sur la prairie au cours de cette année.

Au final, toutes ces mesures permettront de répondre sans ambiguïté à la question : l’exploitation de la prairie par le troupeau allaitant en Wallonie constitue-t-elle une activité d’élevage qui émet ou stocke des gaz à effet de serre ? Répondre à cette question permettra en priorité d’objectiver la situation au sein de notre région, mais aussi de définir des itinéraires techniques qui minimisent les émissions et favorisent le stockage des gaz à effet de serre par une exploitation agricole wallonne dont l’orientation technico-économique est essentiellement basée sur l’élevage de bovins producteurs de viande. Cette recherche d’itinéraires favorables devra aussi concilier les objectifs économiques et sociaux de cette activité agricole, c’est à dire contribuer à la durabilité du système allaitant en Région wallonne.